COMME UN CHIEN

« Il ne voulait, ne pouvait pas penser à ce mois de juillet 95. Le visage d’Alex flottait devant lui comme un orage. Comment ces yeux qu’il aimait tant pouvaient-ils lui adresser de tels reproches, le dévisager avec tant d’amertume ? Comment son souvenir avait-il pu moisir à ce point ? Ses traits déformés prenaient l’apparence d’un masque. Tous ces morts, cette hécatombe, tout ce sang. Son impuissance.»


Thomas – un photographe de renom – doit se rendre au chevet de sa sœur malade, dans les Préalpes suisses. À mesure qu’un hiver boueux l’engloutit, les fantômes du passé prennent le dessus : ceux d’un père génial et austère, d’une vie sentimentale paradoxale et d’un ami trop tôt disparu, écrasé par la fureur du monde. Seule l’amitié d’un jeune homme surdoué, prénommé Mork, semble lui redonner le goût de vivre. Mais est-il vraiment possible d’échapper au poids des années ?

Comme un chien, Editions d’en bas, Lausanne, 2015.

Version italienne: Come cani, Milano, Effigie, 2015.



Revue de presse:

Coup de coeur d’Elisabeth Vust, Zone Critique (RSR-Espace2), 8 mai 2015
Sylvain Thévoz sur YesFM (Genève), 4 mai 2015
Entre les lignes, RTS Espace2,  3 juin 2015
Les liens de Thomas avec sa famille, ou ce qu’il en reste, sont distendus. Pourtant lorsque sa sœur malade lui demande de venir, il n’hésite pas et s’installe dans son village de montagne pour la veiller et aussi poursuivre l’écriture d’un essai sur la photographie. Une pause dans sa vie de nomade propice aux rêves d’où surgissent des fantômes du passé. Dans la nouvelle vie de Thomas, les disparus côtoient les vivants et le photographe s’attache peu à peu à un jeune homme à la fois surdoué et socialement inadapté. Les jours s’écoulent, l’hiver s’étire, l’alcool est l’ami des longues soirées vides. Jusqu’à l’événement tragique qui va secouer tout le village et mettre un point final à l’engourdissement de Thomas.

Un roman qui paraît simultanément en deux langues, en l’occurrence en italien et en français, l’événement n’est pas courant. C’est le cas de Comme un chien – Come cani en italien –, le dernier ouvrage de Pierre Lepori, publié en français par les Editions d’En Bas. Poète (Quel que soit le nom), journaliste à la RTS et romancier, originaire de Suisse italienne, Pierre Lepori est un habitué de la chose puisque son Sexualité (2011) était paru lui aussi en plusieurs langues. Il s’est chargé lui-même de la traduction de Comme un chien, roman grave au style sombre et hanté. Thomas De Martino, photographe renommé, est le protagoniste de cette fiction qui prend l’allure d’un voyage dans les brumes du passé. Habitué à aller et venir, toujours entre deux avions, Thomas se rend au chevet de sa sœur gravement malade, quelque part dans les Préalpes suisses. Au fil des jours, tandis que ce séjour se teinte de tristesse, comme un rapprochement qui risque bien d’être le dernier tant la sœur de Thomas se porte mal (la médecine lui donne 50% de chances de survivre à une lourde opération), se réveillent les fantômes du passé. L’ombre d’une vie amoureuse tourmentée et le douloureux souvenir d’un ami prématurément disparu (il a mis fin à ses jours) s’invitent dans ce paysage tant physique que psychique. Néanmoins, l’amitié inattendue entre Thomas et un drôle de jeune homme qui aime à se faire appeler Mork – d’après le personnage de Mork & Mindy, sitcom étasunienne de science-fiction avec Robin Williams – exerce sur Thomas un effet stimulant. Mais l’heure n’est pas au printemps, un fait divers tragique vient de surcroît plomber l’atmosphère et disloquer le fragile contexte de ce voyage aux confins de la mort.
Marc-Olivier Parlatano, « Le Courrier », 13 juin 2015.


(…)  C’est la rancœur qui prédomine dans le roman de Pierre Lepori. La rancœur et la frustration. À la manière d’un Faulkner, ou d’un Steinbeck, l’ambiance est lourde de tout le tragique passé et à venir. Dans cet hiver sans fin, dans cette maison isolée, pour cet homme solitaire, pour cet homme rejeté, l’ennui s’installe aussi sûrement que le malheur – un de plus – viendra pointer son nez. Et comme dans Le Bruit et la fureur, ou dans Des souris et des hommes, c’est par le biais du dit simple d’esprit qu’arrivera ce qui arrivera. Le propos est assurément sombre, et sa logique – qui ne s’affiche pas d’elle-même – mérite réflexions, dépassant clairement le cadre de la simple dernière page. J’ai aimé cette traduction que l’auteur a faite lui-même de son italien, ce roman ramassé dans lequel tous les personnages ont droit à leur envergure. Cette vie sans véritable intérêt, sans coups d’éclat, qui devient aventure. Les descriptions dignes du photographe qu’est Thomas, ces paysages volés, décryptés dans leur instantanéité. Quand au bout du chemin existe « l’impossibilité de reprendre la route ou de redresser la barre », quand au bout de ce chemin existe l’homme qui abandonne. Le pour qui, le pour quoi, le vraisemblable, on s’en fiche. Comme dans un bon tirage, le cadre importe peu. C’est la mise en lumière qui compte, le cadrage, et le message qui découlera de cet instant figé. Un beau roman donc, à la fin un peu rapide, un peu attendue, mais qui sait offrir de bien belles images à qui sait les apprécier.
Amandine Glévarec, litterature-romande.net, julliet 201


(…) Le personnage construit par Lepori est riche et intéressant. On aurait néanmoins voulu mieux cerner la relation à sa soeur: comment comprendre qu’après des années de silence et d’éloignement, leurs retrouvailles se passent, d’une certaine manière, aussi sereinement ? Partout dans le livre, on sent le poids des années, la pesanteur écrasante de la figure du père, la lourdeur des non-dits, des rancœurs peut-être, mais c’est au lecteur de faire le travail, de compléter les blancs laissés (volontairement?) par l’auteur. Si ce choix de la concision est bien sûr hautement respectable, le lecteur ne risque-t-il pas de rester un peu sur sa faim ? La relation entre Thomas et Mork, le « jeune homme à tout faire » du village, mériterait peut-être aussi d’être quelque peu approfondie, et surtout rendue moins évidente: difficile en effet de penser qu’un homme mélancolique, solitaire et sans doute renfermé comme Thomas noue aussi vite et aussi « naturellement » une amitié avec un personnage si « différent » et, en un sens, si excentrique. On aurait aimé que l’auteur creuse un peu plus le sujet, plonge plus profondément dans les méandres de la psychologie humaine, évalue sa complexité, sonde le plus clair comme le plus obscur dans ses personnages, complexifie, entremêle, brouille les pistes… (…) Au final, Comme un chien est un huis-clos réussi qui se lit avec un mélange de plaisir et d’une pointe de frustration. C’est, si l’on peut dire, un livre très suisse: le rythme est plutôt lent, le ton très introspectif, le regard porté sur la campagne romande est à la fois caustique et bienveillant. On y retrouve aussi la dénonciation d’un certain « soft-fascisme suisse », cette propension des petits fonctionnaires à suivre les ordres. Très suisse enfin, son édition bilingue, à la fois en italien et en français, la traduction ayant été réalisée par l’auteur lui-même.
Julien Sansonnens, 6 août 2015


Thomas, photographe quadragénaire, se rend dans les Préalpes suisses au chevet de sa sœur malade. Leur complicité ravive des souvenirs familiaux douloureux. Il sympathise avec Mork, un jeune homme du village légèrement autiste, qui se retrouvera bien malgré lui au cœur d’une affaire criminelle. Démarrant dans une atmosphère intime, le roman se transforme en polar. Bien écrit, le récit dresse quelques portraits désopilants, comme lors du Nouvel-An au gymnase: «Les dames aux tartes étaient alignées en costume traditionnel. (…) Elles proposaient des gâteaux glaireux, comme si une armée d’escargots avait passé sur les tables garnies. »
Marianne Grosjean, « La Tribune de Genève« , 28 août 2015


(…) Je ne sais pas si quelqu’un a déjà remarqué, dans cette prose dense, hallucinatoire et parfois pesante, un parallèle probable avec l’un des premiers romans de Marie Ndiaye, Un temps de saison (Minuit, 1994) : même atmosphère d’apocalypse intime, même enjeu de perdition dans le paysage hivernal, dans la ruine des sentiments. (…) Le romancier suisse cite Kafka et Bergman, peut-être même Bernanos (Un crime), mais ne cherche point de salut pour ses personnages, dont le chemin de croix mène à l’enfer de l’immobilité et de l’engourdissement ; tandis que les souvenirs – presque toujours tragiques – d’une existence nomade et inquiète, celle d’un personnage-tombeau, écrasent toute ambition de revanche. Plus noir que l’encre du ciel, ce petit roman à l’issue tragique peut dérouter, il n’en reste pas moins qu’il est radical dans son approche de l’humanité. Sans espoir.
Raphaël Paul Moret, « Revue littéraire francophone », 3, 2015


Come cani (auto-traduit en français sous le titre Comme un chien) est le troisième roman de Pierre Lepori (Lugano, 1968). L’auteur aux multiples facettes (prosateur, poète, traducteur, critique de théâtre et bientôt aussi metteur en scène) expérimente de nouveaux aspects du roman à travers un narrateur omniscient, en introduisant dans l’intrigue d’un noir des éléments de discours historique. Personnage principal, le photographe Thomas De Martino est obsédé par Alex, qui s’inspire du pacifiste et activiste du conflit yougoslave Alexander Langer. Les thèmes chers à Lepori ne manquent pas: réflexion sur la corporéité à travers l’art (ici, la photographie), rapports familiaux et fragilité de la psyché. Textes, avant-textes, paratextes et métatextes se fondent, dans un roman qui se lit dès la couverture signée Duane Michals.
Sara Lonati, Viceversa Littérature (site), octobre 2015


Thomas De Martino, photographe célèbre, en se rendant au chevet de sa soeur malade, part à la découverte de lui-même, de sa mémoire, de son désarroi, de toute sa vie que celle des autres fait miroiter. En rencontrant un jeune homme étrange et brusque qui vit essentiellement dans le présent, Mork, Thomas reprend provisoirement goût à la vie par la curiosité que celui-ci lui inspire. Tout un questionnement sur la photographie et, plus largement , sur le rôle de l’art dans nos vies renaît sous le regard de ce personnage principal: ses incidences sur le réel et les images que nous nous en faisons. Pierre Lepori déploie aussi dans ce roman bref au déroulement surprenant, deux chapitres, un long et un très court, l’angoissante thématique du temps et, comme dans ses autres livres, celle de la violence interindividuelle qui pousse les hommes jusqu’au crime. Que sommes-nous si nous ne sommes pas que des images folles qui se succèdent ou se bousculent jusqu’à se faire mourir, jusqu’à en mourir? Françoise Delorme, « Viceversa Littérature » (Revue), mai 2016